Picrocoledhil : récit d'une soirée en taverne

Le Shogun se hâtait vers la Taverne. Il était harassé par les combats incessants qui ravageaient Picrocoledhil. Voilà des lunes que ses troupes n'avaient pas revu les murs de son campement. Aux côtés de son ami Morbake, il se démenait pour ne pas laisser l'avantage au corps expéditionnaire d'Astria. D'après ses renseignements, celui-ci ne comptait pas moins de 7 (!) membres ou sympathisants sur ce continent. Heureusement, il pouvait compter sur l'appui des nains de la Brigade.

Ce n'était pas en prévision d'une bonne soirée de détente qu'il pressait le pas. Peu de temps auparavant, il haranguait ses troupes pour l'assaut du soir. Après Viviane la fée, c'était le royaume de Noir-Feu qui devait brûler le soir venu. Barahir tenait encore bon, mais sans doute plus pour longtemps. Son tour viendrait. Tout était presque prêt. Son armée ainsi que celles de Morbake et d'Hans Echnabo devait bientôt opérer leur jonction. Il tâchait d'exalter la fureur de ses hommes en prévision de la bataille, désormais toute proche.

Un messager du Clan avait fait irruption dans son campement. Il portait un message urgent de Sheena, qui disait avoir vu certains de ses ennemis discuter sans précaution dans la taverne. Son royaume ne serait que peu défendu la nuit tombée, il était donc vital qu'il sache ce qui se tramait là-bas…

Il entra dans la salle enfumée, essayant de reconnaître des têtes de ci de là. Il aperçu Sheena, en vive discussion avec le Duc de l'Uto. Au fond, il reconnu Noir-Feu, l'Architecte ainsi que Stratovarius. Ainsi, ses renseignements s'avéraient être exacts. Il salua l'assemblée. Ses trois adversaires le dévisagèrent, Noir-Feu lui rendit son salut.

Après avoir échangé quelques mots avec l'elfette, il mit en pratique l'un des principaux enseignements de son maître. Sa voix résonnait encore dans sa tête : "Garde près de toi tes amis, et tes ennemis encore plus près…" Il s'approcha calmement des trois comploteurs, scrutant leurs réactions.

Noir-Feu entama rapidement la conversation : "La lune sera sanglante, semble-t-il, n'est-ce pas ?". Le Shogun et lui échangèrent quelques banalités de circonstance, chacun cherchant à savoir ce que l'autre avait comme atout dans sa manche. Ils parlèrent de leur arrivée sur le continent, et la conversation commença à s'échauffer lorsque l'Astrian lui déclara que les lâches pullulaient sur le continent. "Quand je pense au nombre de seigneurs dans leur alliance…" bouillait intérieurement le samouraï.

L'ex-Dragon multipliait les allusions à sa mort prochaine et promettait une bataille homérique aux Claniques et à leurs alliés. En son fort intérieur, Kawamashi tentait de garder son calme et de se persuader que le guerrier noir ne cherchait qu'à le tester. Jetant un coup d'œil derrière lui, il vit que Sheena ne perdait pas une miette de la situation tout en continuant sa propre conversation. Noir-Feu arborait un calme olympien, fruit de son expérience millénaire, alors que ses deux compères étaient fébriles, essayant d'arborer une attitude de trompe-la-mort, sans s'en convaincre eux-mêmes. Tout en essayant de s'immiscer dans la discussion, ils s'échangeaient nombre de messages par pigeon, ce qui avait pour don d'irriter Kawamashi. "La sagesse viendra avec l'expérience." se dit le Shogun. "Dommage que nous ne soyons pas encore assez fort pour en éliminer plus d'un à la fois, ça leur aurait rabattu le caquet et appris le respect !"

Noir-Feu regarda différemment le représentant de l'empereur, et lui déclara que lui et ses deux alliés seraient particulièrement bien reçus cette nuit-là. Le visage de Kawamashi se décomposa. "Il a l'air de tout savoir de notre attaque ! Mais comment peut-il être au courant ?!?" se demandait-il. "On nous a vendu !" Il espérait que son ennemi ne s'apercevrait pas de sa surprise, mais n'y croyait pas trop. Pour ne rien arranger, il savait pertinemment que leurs plans ne pourraient plus être changés : les troupes d'Hans Echnabo étaient sûrement déjà en route…

Falxo Feronas arriva dans la taverne à ce moment-là. Kawamashi en profita pour s'éloigner un instant de Noir-Feu et pour échanger quelques mots avec son ancien allié. Sheena en profita pour le rassurer à voix basse : "Il ne cherche qu'à te tester et à observer tes réactions !". Le Shogun n'était qu'à moitié convaincu.

Quand il revint discuter avec les Astrians, il avait l'ébauche d'un plan en tête. Il choisit de jouer franc-jeu dans un premier temps, afin de mieux duper ses adversaires par la suite :

"Vous m'avez surpris tout à l'heure. Vous avez l'air particulièrement bien renseigné…"

L'ancien Dragon esquissa un sourire. Le Shogun continua :

"Par contre, ce n'était pas très malin de nous dévoiler une telle information, et surtout de nous laisser le temps de réagir !"

Son ennemi contre-attaqua :

"Quant à vous, ce n'est pas plus malin de révéler à vos adversaires que vous avez changé vos plans ! On peut réagir en conséquence du coup…"

Kawamashi voulait lui faire croire que leurs troupes seraient de nouveau chez Barahir, qu'ils avaient déjà attaqué la lune d'avant et dont les défenses étaient tombées.

"Que voulez-vous, les solutions les plus simples sont souvent les meilleures !"

Les pigeons volaient de plus belle entre les trois Astrians. Le Shogun espérait qu'ils mordaient à l'hameçon. C'est alors qu'il eut une illumination :

"Au fait, cher Noir-Feu, dirigez-vous toujours des armées non-mortes sur ce continent ?"

Il connaissait la réponse, ses espions ayant repéré son camp depuis plusieurs lunes. Le dragon noir se mit à rire à gorge déployée et lui rétorqua :

"En effet mon ami. Seriez-vous en train de me révéler que vous ne connaissez pas ma position ?"

Le Shogun fit mine de se rendre compte qu'il avait gaffé et tenta de produire la bafouille gênée la plus réaliste possible. A l'intérieur de lui-même, il exultait !


La conversation continua de manière plus apaisée, puis quelques piques recommencèrent à fuser.

"Vous avez un bien beau katana. Je le verrai bien accroché sur ma cheminée !" lança Noir-Feu.

"Une descente de lit en écailles de dragon noir serait du plus bel effet chez moi…" riposta Kawamashi. "C'est d'un chic !"

"Pour cela, il faudrait déjà que vous me trouviez, je vous rappelle !" ironisa son ennemi.


Le Shogun était rassuré. Le poisson était bien ferré, mais trop content de manger l'appât pour s'en apercevoir. Tout allait donc pour le mieux… Peu de temps après, il salua l'assemblée et prit congé. Il ne fallait pas que ses deux alliés l'attendent avant la bataille !