La mer l'avait rejeté là il y a 3 jours.
Virgil Larret avait été le commandant des troupes humaines du démon Rat sur Caumdhil. Il avait pris un radeau de fortune au moment de la débâcle. Mais manque de chance, le radeau avait essuyé une tempête monumentale qui l'avait porté loin du continent...loin sur cette petite île déserte.
Et quelle île! Des cailloux, quelques arbres et quelques buissons! Elle faisait à peine 195 pas de longueur et 178 dans sa plus grande largeur. Il n'y avait rien à manger si ce n'est une herbe étrange qui poussait en touffes drues.
Ceci dit, Virgil s'était vite rendu compte que cette herbe avait des propriétés plutôt sympathiques. Une dizaine de feuilles à mâcher et la tête lui tournait. Une vingtaine et le monde lui faisait voir des choses folles. Une trentaine et c'était parti pour le trip du siècle!
Planer faisait oublier. Mais planer ne nourrisait pas. 3 jours. Cela devenait une urgence. Il n'avait qu' un nécessaire de suture rudimentaire pour se "ragaillardir" après les combats, quelques bidons d'eau douce qu'il avait sauvé de la tempête par on ne sait quel miracle et son couteau de combat si bien aiguisé...
Il n'avait toujours combattu qu'avec son couteau. C'était pour cela que le démon l'avait tant apprécié. "Mon chirurgien du mal" l'appelait-il...
Virgil avait de bonnes notions d'anatomie et maniait à la perfection l'arme blanche...Chacun de ses coups tuait, amputait, invalidait fortement...et cela plaisait au Maître...
Mais à quoi bon un couteau s'il n'y avait rien à découper?
La faim le taraudait et les paradis artificiels de l'herbe magique ne le soulageaient plus complètement...
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Au matin du 4ème jour, il repéra de minuscules animaux dans les herbes. Des sortes de petits mammifères discrets et dodus mais très rapides à se déplacer. Ils se terraient en profondeur de galeries obscures et ne sortaient qu'aux alentours de 11h du matin pour se rafraîchir au bord de l'eau.
Il était un habile lanceur de couteau. Aussi réussit-il après 2 heures de fastidieux efforts à assommer l'une de ces bestioles avec un caillou. Il s'était approché doucement. Le condamné prenait la pose à 2 mètres de lui. Comment les gargouillis de son ventre ne l'avaient-ils pas fait fuir? Un jet précis et couic. Etourdi. Et quasi aussi vite dépecé et vidé.
Il avait mangé le premier cru...
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6ème jour. Quelle catastrophe! Il se débrouillait si bien! Il avait jusque là réussi à en capturer une dizaine mais...En courant après une nouvelle proie qu'il n'avait que partiellement amochée il était tombé, se brisant très méchamment la cheville dans un trou...
Le voilà paralysé. Sa cheville est gonflée comme une baudruche et bleue. Il mâche 3 fois plus d'herbe qu'en temps normal...Il tremble. Il a froid malgré le soleil brûlant...Il entend des voix lointaines...parfois il s'évanouit...
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7ème jour. Rien ne va bien. La cheville est toujours gonflée et lance sa douleur dans tout son corps. Il se traîne au sol pour récolter son herbe anti douleur...
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10ème jour. La décision est prise. Dans un moment de lucidité il a compris qu'il allait être très mal parti s'il ne faisait pas tout de suite quelque chose. Son pied et sa cheville ont un très vilain aspect. Heureusement qu'il a des notions d'anatomie et un couteau...Il faut amputer...
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11 ème jour. Il a préparé une petite cargaison d'herbe à planer, en a pris une quinzaine de feuilles. Son nécessaire à suture est prêt à côté de lui. Un feu qu'il a allumé tant bien que mal a servi à stériliser le matériel et permettra de cautériser ce qui pourra l'être. Il a noué sa chemise haut sur sa cuisse. Il a serré fort en tenant une extrémité entre ses dents. Son couteau ne doit pas faillir...Pourvu que le choc traumatique ne le fasse pas s'évanouir avant qu'il n'ait jugulé l'hémorragie...Le couteau entame la chair...
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12ème jour le soir. Il avait réussi. L'euphorie de l'herbe l'avait beaucoup aidé. Il avait eu mal. Mais la douleur semblait détachée de lui, presque lointaine. Vers la fin de "l'opération" la douleur avait pris des teintes à nouveau plus personnelles mais il avait tenu bon...puis il avait pris le maximum d'herbe...mâchée, fumée, avalée...tout était bon pour faire taire l'horreur de sa situation et de sa souffrance...gris...
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13ème jour.Il était toujours en vie. Il contemplait le coucher de soleil, magnifique. Apaisant. Il avait réussi à se trainer pour refaire un stock de branches pour rallumer un feu. Et un stock d'herbe pour bâillonner sa douleur. A côté de lui, l'odeur montait. Chaude, forte, délicieuse...
Vous souvenez vous? Il n'a plus rien mangé depuis déjà quelques jours alors...Vous auriez fait comme lui non? Pour regagner des forces, il ne lui fallait compter que sur son propre corps...La survie est affaire d'état d'esprit...esprit supérieur?
Il n'avait pas fait tout cela pour mourir de faim quand même? Alors l'idée lui avait paru évidente en regardant son pied amputé....Personne ne le saura jamais...
Il avait pris des précautions, il l'avait bien nettoyé avant de...
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14ème jour. Son moignon gratte horriblement! Les élancements sont terribles également! Il a réussi à se redresser et marche appuyé à une canne improvisée faite d'une branche. Bien calé sur celle-ci il vise avec un stock de cailloux les petits habitants si grassouillets de l'île...Il ne désespère pas. S'il ne peut plus les approcher d'aussi près qu'auparavant à cause des efforts peu discrets à se déplacer, il a remarqué qu'ils ont moins peur de lui et s'approchent naturellement bien plus de lui quand il est au bord de l'eau...Il les a nommé des squigs. Ca leur va plutôt bien...
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15ème jour. Il peut manger, certes pas à sa faim mais il peut manger: 5 proies hier et autant de gibier aujourd'hui. L'herbe lui permet d'oublier les cris de son pied disparu. Seul point noir dans ce "paradis"...il a un peu de fièvre...
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16ème jour. Il est brûlant. La sueur brouille sa vue, le rend impatient. Il a approché un autre squig. Celui-ci le nargue, ne bouge pas. Il n'ose lancer la pierre de peur de la rater encore une fois. Il n'a réussi à en toucher aucun aujourd'hui. Il arme... tire...le touche sur le côté, ouvrant son flanc...la bestiole couine et se carapate...
Il ahane derrière elle en la poursuivant. Elle zigzague, le fait tourner en bourrique, se rapproche de l'eau...Il salive en la poursuivant, renifle le sang qui coule de la plaie...Absurde ballet de 2 handicapés qui dansent au ralenti. Bienvenue au bal des éclopés!!!
Il finit par s'effondrer au sol au moment où le squig se jette désespérément à l'eau pour y couler...
Il se remet à genoux et hurle sa frustration et le néant de son futur...
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18ème jour. Il a amputé l'autre pied. Il peut à nouveau manger. Etrange, il a bavé durant toute l'opération...Baaavé!!! Il a attendu le soir pour le manger en comptant lentement à rebours de 500 pour s'obliger à patienter un peu et en pensant rosbeef froid , rosbeef froid...
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19ème jour. Il a attrapé un crabe. Il l'a fait cuire. La chance semble revenir...Stone toute la journée...
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21ème jour. La fièvre est tombée. Enfin! Il a réussi à se nourrir de petites araignées qu'il écrase entre ses doigts. Les squigs l'approchent et se foutent de lui. Parano? L'herbe en forte quantité? Il s'en fiche...
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22ème jour. Il a amputé la jambe gauche au dessus du genou...Il a perdu beaucoup de sang...La douleur est insupportable malgré la consommation gargantuesque d'herbe à bonheur...Mais plus insupportable encore, il n'a cessé de baver à gros bouillon durant son intervention.Ses mains tremblent. Il ne faut pas. Ses mains sont le bien le plus précieux désormais...Il n'a plus faim aujourd'hui. la jambe a fait un gigot délicieux...
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23ème jour. L'autre jambe a été délicieuse aussi...Il a somnolé tout le restant du temps...Baver...couper...dormir...
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24ème jour. Un poisson mort s'est échoué sur la plage. Il sentait fort...pourri probablement...Il l'a mangé cru. Un répit bienvenu aujourd'hui...
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25ème jour. Il s'est réveillé avec un squig sur le ventre. Il n'a pas esquissé de mouvement pour l'attraper. A quoi bon? Rigole bien petit squig...ah, ah, ah!!! rigole...
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26ème jour. Il n'ose tailler si loin. Il a peur de ligaturer l'artère fémorale si haut...Avec un bout de charbon de bois il trace un trait en haut de la cuisse, là où c'est encore charnu. Il le faut...Heureusement l'herbe ne manque pas...
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27ème jour. Bienvenue au festin du seigneur des seigneurs!!! Banquet et victuailles à volonté. Les serveurs et marchands l'abreuvent de vins onctueux, il croque à pleines dents les poulets et boeufs cuits à souhait. Autour de lui, ses amis rient et dansent...quel bonheur ce jambon fumé à l'os.Tra la la lalaire!!! Dansons la carmagnolle!!!!
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28ème jour. L'eau viendra bientôt à manquer...Il faut économiser. Il tente de boire l'eau de mer, se penche, aperçoit son reflet. Un crâne et de la peau...Il se traîne avec tant de difficultés...il n'y a plus rien sous l'aine. Il est un monstre maintenant....une tête et un torse qui avancent sur des coudes. Ses mains touchent son visage, le redécouvre...Dans le ciel, une lumière rouge apparait. Une voix dans sa tête qui lui parle si distinctement, qui le cajole..."Mon chirurgien" dit-elle si tendrement... "Reprend un peu d'herbe...à moins qu'un petit bout de viande ne te tente?" Pourquoi pas se répond-il...
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30ème jour. La voix ne l'abandonne plus. Le démon le soutient. La boule de feu est immense dans le ciel.Il mâche toujours sa drogue quotidienne. Hier, il a pris ses lobes d'oreille. Il n'y aura bientôt plus rien.
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31ème jour. main droite lave main gauche....méticuleusement...ne pas laisser la main gauche savoir ce que va faire la droite...C'est bon la viande! Les patates aussi! Y en aura plein dans la glacière .au moins 7 ou 8!!!
Et puis peu importe quelle main finalement....
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Rat sourit. Au loin, le démon voit son commandant en déroute. Il voit qu'il est prêt. Par la pensée, avant la résurrection, il le baptise. La mort n'aura été qu'une étape...
-Tu te nommeras FAMINE et ta faim sera un gouffre où se noieront les âmes de tes adversaires. Viens me rejoindre. Soit le général de mes nouvelles légions! Nous avons une grande tâche à accomplir, Ordradhil renaît pour la cinquième fois des cendres des anciennes batailles légendaires....