Tiatnodhil: Une seconde d'éternité

Les bulles remontaient à la surface en folâtrant en route. Quelle chance pour elles...en avaient-elles un peu conscience et s'en réjouissaient-elles?

Il serrait les mâchoires et pinçait les yeux. Mais la douleur en son sein était de plus en plus vive.
Il sentait l'arborescence de ses bronches prendre feu. Un buisson ardent de volonté. Volonté de liberté, d'air, de vie.

En lui une énergie s'allumait pour redonner consistance à ce simulacre de vie. Mais cela ne durerait pas...tout du moins l'espèrait-il...le pouvoir s'épuiserait à le ramener dans ce plan de réalité.

Il laissa filtrer par ses lèvres encore quelques bulles, quelques molécules d'oxygène transmué en dioxyde de carbone...
Si seulement il pouvait également se transformer en un papillon libéré...libéré de sa vie maudite, de la souffrance, la sienne et celle qu'il inflige aux autres...

Il souleva la tête, effort qui lui coûtait un déferlement de vagues déchirantes dans la gorge. Un mètre de liquide. Peut-être un mètre cinquante.
Et au-dessus, le visage de ses bourreaux. Des fantômes de figures, ondulantes, changeantes, grimaçantes...
La Haine.

Une voix dans sa tête lui souffla que là était le chemin. S'y accrocher.

La Haine devenait tout. Elle emplissait ses veines, ses organes, ses poumons en souffrance.

L'encouragement prenait de la vigueur.

Il reprit l'observation de ses pieds. De ses jambes. Ses jambes figées dans un bloc de granit. On lui avait dit que s'il tenait jusque là, il aurait réussi l'épreuve.

Une vibration commença à faire frémir l'eau. Le démon récitait la formule. Une voix gutturale emplit son esprit chavirant sur la route de la folie. Une suite de mots aux pouvoirs runiques. Tant de densité et de force dans un son, une onde, un va-et-vient.

Une onde qui modifia l'eau. Qui en fit une acide corrosif.

La torture commença réellement.

L'eau qui n'en était plus se mit à bouillonner autour de lui. Au même instant son corps ne fut plus qu'une couleur: ROUGE. Le rouge de la rage. Le rouge de la douleur unique, surhumaine, dépassant la pauvre existence sans intérêt de son univers. Le rouge du sang. Son sang. Sa vie.

Il ouvrit la bouche pour hurler et relâcher les dernières traces de souffle en lui. Le liquide acide envahit son corps, le dévorant de l'intérieur.

Le rouge devint d'un noir limpide....

Loin au dessus de cette mort, le démon détourna les yeux. Plus aucun intérêt. Il n'avait pas réussi le test. Ce n'était pas lui.
Ses commandants de l'apocalypse étaient tous réunis autour du bassin: Mort, Peste, Famine et Aliénation.
Le rituel dégénérait. Légion, au fond de l'eau n'avait pas réussi. Mort prit la parole:

-Maître, que faisons-nous?

-Rien, laissez-le se faire dévorer par les acides jusqu'à ne plus être.

-Et si...heu...et si il survit à l'epreuve? Si il remonte? Si lui et son pouvoir supportaient la torture? Si ses jambes rongées, ses pieds libérés il remontait?

-Le nécromancier que je recherche ne souffrira pas. Son pouvoir ne connaitra ni peur, ni douleur.

-Mais...que fait-on alors?

-Si il remonte? Et bien, replongez le...

-Mais...

-REPLONGEZ-LE!!!

-Nous serons dévorés aussi par les acides....

-Alors relayez vous pour ne pas trop souffrir...

Le Rat quitta la salle de cérémonie, déçu. Il partit retrouver sa fille qui s'amusait dans la salle des tortures.

Derrière lui, ses généraux tremblaient. Légion, grâce à son pouvoir de régénération et malgré la folie qui l'avait submergé, avait réussi à préserver quelques chairs et quelques os essentiels à son corps et son esprit. Ses jambes dissoutes venaient de se séparer de ses pieds emprisonnés dans le granit. les restes du corps remontaient...Il allait falloir choisir...qui donnerait de sa peau, de ses muscles, de sa présence pour obéir au tyran?...Chacun cherchait l'autre du regard...

Autour du bassin, une inscription sinuait sur les bords du puits de sacrifice, déterré par les mineurs démoniaques au hasard des fouilles de l'AK Arèna :

Un seul titan. Un seul vainqueur. Celui qui ne souffrira d'aucun mot, d'aucun scrupule. Celui qui fera sa solitude dans la froideur de la terre. Celui qui fera son honneur dans la moisson de l'esprit