Ils avaient débarqué comme débarquent tous les guerriers. Avec panache. Avec bravoure. Avec fanfaronnerie. Avec insouciance. Avec fierté. Avec naïveté peut-être?
C'était cela déjouer la peur et l'éventualité de sa mort. Ne pas y penser et se croire invulnérable. Se dire: "les autres, pas moi."
Quelquefois, cette attitude payait et, avec du recul, paraissait adaptée.
Ils avaient été les meilleurs. Alors ils avaient eu raison de se croire les plus forts, les plus téméraires, les plus brave-la-mort.
Mais c'était une illusion. Juste une illusion comme tout le reste ici-bas. Pour une terre remportée, combien d'autres qu'il avait fallu quitter à la hâte, quitter comme un voleur et un batard, quitter comme un lâche et un déchu.
Une vie de combats n'est qu'un énorme paravent à la médiocrité de notre réalité. Une fuite en avant de ceux qui n'ont plus rien affaire d'un épanouissement ou d'un accomplissement personnel. Se battre c'est toujours perdre. C'est toujours un long et doux suicide de notre être, de notre moralité, de nos idéaux.
Quelquefois, le voile se déchire.
Quelquefois, les fantômes sortent de leur placard, les croque-mitaine vous attrapent le pied au moment où il dépasse du lit, de son abri douillet.
Quelquefois le paravent ne suffit plus. Que de conquêtes ont vu leur homélie emplie de justifications insipides et hypocrites aux saloperies que les gagnants avaient du faire subir aux perdants.
Ils la veulent cette victoire! Oh ça oui. Ils la veulent. La victoire.
Si vous avez vécu ici longtemps, alors vous l'avez eue. Et elle vous a affamé. Elle vous a donné envie de flirter avec elle une nouvelle fois. Et en son nom vous avez succombé.
Oui, pour y arriver, vous l'avez fait: menti, trahi, retourné votre veste, masqué, signé un pacte avec le diable, été de mauvaise foi, été mauvais joueur, en colère, envieux, attristé, désabusé!
Puis vous vous êtes refait une virginité. Vous avez mis un chapeau, un mouchoir sur vos actions honteuses, les avez soigneusement enterrées loin des regards et les avez oubliées. Et vous avez recommencé à vous insurger contre ces "autres" qui faisaient comme vous auparavant.
Oui, c'est ça, être guerrier en ce monde.
Parfois, les temps s'accélèrent. Les coïncidences se rejoignent. Le monde décide, ou ne décide pas, d'agir ainsi envers et contre tout, contre tous. Il parait qu'on appelle ça une ère de décadence.
Nous nous devons de passer par là. Redevenir un peu moins sensibles, un peu moins humains, un peu moins moraux, redevenir sauvage, animal puis poisson. Se laisser réinvestir par un Ca plus profond et égoïste sans tenir compte de la liberté de tous, du désir de chacun. Oublier d'être civilisé. Reprendre des slogans sans sens, ni dessus, ni dessous: "peu importe le chemin, seule la victoire compte!" Tu parles!
Dans ce cas, un mal-être s'installe. Il n'y a plus aucun éclat à notre quotidien. Même les joutes les plus renommées , les plus fastueuses se teintent d'amertume et d'aigreur.
Victoire!!! On a gagné!
Oui, mais à quel prix? Moi je ne vois que des perdants.
Comment les réveiller? peut-être en leur montrant toute la stupidité de leurs actes? peut-être en en faisant de plus stupides encore?
Peut-être en les abandonnant?
Nous perdrons tous de toute façon...
...
...
Alors ils avaient débarqué. Les piégés. Ils ne le savaient pas encore. Quoique...Ils sentaient bien que quelque chose n'était pas normal. Des regards à droite, à gauche, encore à droite. Une boule dans la gorge. Une aigreur dans le ventre. Ils se dandinaient d'un pied sur l'autre, pas très à l'aise. Peur. Incrédulité. Colère.
Ils auraient beau se débattre, ruer, crier, mordre, hurler, déchirer, se lier, se déchirer, frapper, détruire. Ils perdraient. Ils étaient piégés.
Dans un cul de sac.
Le premier.
Au fond, ils avaient de la chance. Ils étaient les premiers. Ils pourraient dire "j'y étais quand ça a commencé". On se souviendrait peut-être même d'eux? Pas comme de perdants evidemment. On parlera un jour de victimes. C'est ça être piégé. On ne perd pas, on subit.
on ne perd pas, mais on ne gagne pas non plus.
Victoire!
pauvres fous. Nous perdrons tous.
mais qui suis-je pour vous ennuyer ainsi avec mes pensées sans aucun fil. Mes pensées qui vous font cogiter ou fuir? Après tout, je ne suis qu'une Ombre. Une Ombre parmi les Ombres. Une Ombre qui vous a piégés. TOUS.