Quoi de plus angoissant que cette solitude dans l'affrontement? Seul pour combattre, seul pour mourir, seul pour attendre son destin.
Il n'était rien qu'un pauvre soldat archer enrôlé pour le meilleur ou pour le pire. Mais le pire n'aurait pas du être cette damnation éternelle. Il avait débarqué sur Atlantidhil avec fougue et sérénité. Il aimait sentir l'adrénaline couler le long de ses veines et faire exploser les battements de son coeur. Il aimait quand l'instant s'accélérait pour lui révéler où frapper l'ennemi et lui infliger des blessures mortelles. Il aimait panser les siennes après le combat: la douleur cruelle et profonde explosant en des milliers de couleurs dans sa tête, lui faisant sentir qu'il était vivant. Oui il aimait cette vie de violence. Voilà pourquoi il se réjouissait donc de cette nouvelle épreuve sur cette terre.
Mais les Ombres les avaient accueillis. Un à un chaque campement tombait sous les coups d'une force sauvage et mystérieuse. Ce n'était pas une guerre classique. La Mort les avait trompés. Il n'avaient rien à défendre, rien à espérer...même pas le salut de son âme.
Au début, il avait cru que son imagination se jouait de lui. Mais très vite, le ressenti avait rattrapé les rumeurs les plus folles. Ils étaient perdus.
Des armées démoniaques les écrasaient, les piétinaient, les émiettaient. Au début, ils pensaient commencer par se défendre puis contre-attaquer. Mais point de répit pour les engloutis.
Son chef de guerre, le Grand Jack, 4ème de sa dynastie, les avaient prévenus quand il avait compris le guet-appens:
"-Mes amis, nous nous sommes fait piéger. Mais nous combattrons et foi de Jack, nous mangerons de la soupaille de clanique tous les soirs de la semaine!"
Sa confiance et son insouciance avaient motivé les troupes. Et il est vrai qu'ils étaient partis attaquer le coeur léger et la flamme brûlante au fond du regard.
Mais que s'était-il passé ensuite? Ils avaient fait des dégats face à la menace: quelques tombés, quelques batiments détruits puis l'enfer! Si peu de forces face à ce colosse clanique de noirceur. Se débattre avait été vain et ridicule.
Mais le seigneur Jack continuait fièrement et valeureusement à tenir la bannière.
Alors, lui s'était enfui, les avait quittés. Il désertait. Il n'y voyait pour une fois aucune honte. Juste un instinct de survie. Pas pour cette vie-ci. Pour toutes les autres. Pour le salut de son esprit et de son âme. Que le Grand jack soit maudit si ça lui chante, lui ne voulait pas assister à la suite. Le patron s'était réfugié dans la taverne de fortune et se saoulait en attendant la Faucheuse qui frapperait bientôt.
Déjà l'île avait commencé à s'engloutir. Les éléments se déchainaient. L'océan était fou, il lappait, il érodait les terres à chaque nouvel assaut de vagues. Les vents violents et violeurs rasaient tout, plus aucune forêt, plus aucun roc stable. Lers orages infernaux et cruels brûlaient ce qui défiait encore les dieux. La terre tremblait, ouvrait des crevasses s'abimant droit en enfer.
Atlantidhil avait commencé à se désagréger, à disparaître au moment même où les Claniques avaient décidé de s'anéantir entre eux. Il n'est jamais de bon ton de voir le Mal attaquer le Mal. Les Ombres se mêlaient dans des ballets insensés pour le pouvoir suprême.
Il ne comprenait pas l'intérêt d'une armée surpuissante obligée bien vite de s'auto digérer pour conclure du sort d'un territoire...A moins qu'il ne soit face à l'Apocalypse annoncée...
Il était donc bien temps de se sauver pour essayer encore de survivre, de voler quelques précieux jours ou mois à cette fin du monde proche. Ce ne serait pas être lâche...
Il glissait le long du sentier. Il allait atteindre la plage. Dans cette petite crique, les éléments n'avaient pas encore fait leur ravage. Il pourrait encore tenter sa chance et prendre un radeau. Prier que les courants l'écartent assez loin de ce dhil, assez loin pour ne pas sombrer avec ce bout de légende voué à être englouti. Prier.
La chance semblait avec lui: un bateau de fortune l'attendait. Construit à la va-vite par d'autres, il était amarré là et subissait les ressacs, vaillant petit bateau attendant un propriétaire. Il l'attendait donc lui.
Vite. Les pieds dans l'eau, les jambes, le torse puis quelques brasses et se hisser dessus. Equilibre précaire. La pluie embrumait tout. Le monde se déchirait autour de lui, grondait d'impatience. Mais une lueur d'espoir réapparut pour lui. Il allait le faire. Il allait s'échapper.
Il n'avait plus qu'à trancher la corde qui retenait l'embarcation à ce lieu de mort et à commencer à prier pour être loin dans quelques heures. Ou sinon mourir noyé. ou dévorer par les monstres marins. Tout plutôt que de revenir ici.
Il sortit sa dague prêt à couper l'amarre mais à ce moment une étrange apparition se matérialisa sur la plage. Une jeune femme le regardait avec un sourire bienveillant. Elle semblait si belle, sereine et accueillante. Ses cheveux rouges et sa robe de dentelle noire ne s'agitaient pas comme ils auraient du dans cette tempête. Pas une mèche, pas un pli ne bougeaient alors que le vent redoublait. La pluie même semblait l'épargner.
Elle était hors du temps, hors de cette horreur. La jeune fille commença à s'élever dans les airs à la verticale et à flotter vers lui. Tout doucement au dessus des flots, elle venait vers lui. Comme elle semblait douce. Comme ses lèvres paraissaient prometteuses. Ce n'est qu'à la dernière seconde, quand ce visage de sainte se transforma en un rictus monstrueux et grimaçant, les yeux rouges sang, la bouche sertie de crocs, qu'il entrevit de derrière cette silhouette angélique des Ombres menaçantes se projeter vers lui pour...l'engloutir...