Le jeune Istar

Istar était en sueur... Du haut de ses 10 années, il était un fier garçon au teint basané par les longues heures passées au soleil. Il avait suivit son père Eldaron à travers la Cité clanique, comme à son habitude. Celui-ci était l'un des scribes de la Cité, et le petit Istar apprenait à ses côtés les rudiments de l'écriture et de la lecture des différentes langues qui avaient cours sur les terres daifeniennes. Jamais depuis sa plus tendre enfance il n'avait quitté cette Cité qui l'avait vu naître. Mais à mesure qu'il grandissait, le garçon sentait monter en lui l'envie de découvrir les terres, les peuples et les monstres qui peuplaient apparemment le Dehors. Fils de scribe, il avait été bercé par les récits que son père lui lisait le soir avant de se laisser emporter par un profond sommeil, par ces récits qu'à présent il apprenait seul à déchiffrer et à recopier à son tour avec la plus minutieuse application possible.

- Presses toi Istar!

Il hocha la tête, se hâtant un peu plus, tentant tant bien que mal de ne pas faire tomber les rouleaux, pinceaux, encres et papiers dont Eldaron l'avait chargé en partant de leur petite maison qui côtoyait les étalages marchands dans la basse ville. Son père et lui étaient attendus sans tarder, car c'était aujourd'hui qu'Istar ferait officiellement ses premiers pas en tant que scribe officiel de la Cité. Eldaron prenait cela très à coeur, sachant que cette nomination prouvait que son propre travail était reconnu au sein de la Cité, et que son fils avait droit là à un honneur enviable par plus d'un dans les bas quartiers. L'avenir de son fils était assuré, et il pouvait à présent être plus en paix. Istar soufflait, et avait hâte d'arriver....

Cela faisait quelques jours que la victoire du Seigneur Mardaggar avait été proclamée déjà, et c'est au cours de la fête donnée pour cette dernière qu'Eldarion avait appris l'excellente nouvelle pour sa famille.

Istar courait depuis que le soleil avait timidement montré son éclat ce jour là. Eldarion maugréait depuis la veille, car son fournisseur lui avait menti sur la marchandise qu'il lui avait vendu. Ce n'est qu'en rentrant chez lui et en commençant à écrire avec la plume de corbeau qu'il s'aperçut de la supercherie. Le parchemin qu'il avait acheté était d'une qualité plus que médiocre, et ses aspérités empêchait Eldaron d'appliquer un écrit net et sans tâche. Istar s'était proposé pour parcourir la ville en quête d'un meilleur marchand. Son père lui avait fourré quelques piécettes dans la main droite, ravi que son fils unique s'intéresse ainsi à son métier et à ses préoccupations. C'est sans demander son reste qu'Istar partit le coeur en joie pour une nouvelle ballade matinale. Ce prétexte était parfait à ses yeux, et lui permettait de grappiller quelques heures de liberté loin de son père et des pages d'écritures qui l'attendaient près de lui.

Les cheveux en bataille, il s'en alla rejoindre ses amis du côté du port. Son père ignorait qu'il s'y rendait dès qu'il le pouvait. Il y avait là quelques garçons d'environ son âge, déjà perchés sur des caisses qui traînaient là, sans doute laissées sur place par des matelots en attendant l'ordre de chargement. Ceux là regardaient d'un air méfiant d'autres membres du groupes, qui essayaient tant bien que mal de les dénicher de leur perchoir à l'aide d'épées de bois. 2 d'entre eux étaient déjà en prise dans un duel où martelaient sourdement leurs petites armes. Istar se précipita vers eux dans un cri de guerre,et sans autre formalité, se retrouva dans la mêlée. Le temps passa ainsi, entremêlé de rire et de cris, jusqu'au moment où un matelot les héla :

- Hey, les mômes! Dégagez le plancher, on a du boulot!

Les gamins se regardèrent, et après avoir convenu une autre rencontre plus tard dans la journée, déguerpirent chacun dans une direction. Istar avait écopé d'un bleu juste en dessous de l'oeil, et sa main était égratignée. Il soupesa les pièces dans sa poche, et se dirigea vers une échoppe non loin de là, réputée pour sa marchandise, qui, disait-on, provenait des îles les plus riches de la Cité. Il y entra, puis ressortit de longues minutes plus tard, les précieux parchemins sous le bras. Un coup d'oeil vers le ciel lui suffit pour se rendre compte que l'on approchait de la mi journée, et il pressa tout de même le pas, car il ne voulait pas mettre son père dans l'embarras. Celui-ci vit arriver son fils dépareillé, et lui donna une taloche sur la tête lorsqu'il vit l'état de ses mains :

- Istar, elles sont l'un de tes dons les plus précieux! Un bon scribe se doit de prendre soin de ses mains. Que feras-tu si jamais tu les perdais, fils?

Le garçon écoutait d'une oreille distraite le reproche qui lui était maintenant devenu coutumier. Eldarion s'activait, sentant la pression monter alors que l'heure de la cérémonie approchait. Il prépara de quoi laver rapidement Istar, puis lui sortit la toge blanche destinée aux jeunes scribes, qu'on lui avait remis spécialement pour l'évènement. Istar s'habilla machinalement, et saisit tout le matériel qui faisait un bon scribe que lui tendait son père.

Et voilà comment tous les deux s'étaient mis en route, l'un à la fois stressé et fier de voir son fils ainsi vêtu, l'autre indifférent face à cette parade. Eldarion ne vît pas que des pensées troubles traversaient l'esprit de son petit Istar, tout concentré qu'il était à visualiser la cérémonie qui les attendaient, cérémonie à laquelle lui même avait participé voilà à présent moults années.

L'esprit d'Istar lui, réfléchissait comme jamais encore auparavant. Le garçon regarda en coin le visage de son père, et son coeur se serra. Pourtant, alors qu'il avançait, sa décision se faisait de plus en plus nette. Il arrivèrent devant les marches du temple où devait avoir lieu la cérémonie. Istar ralentit le pas, et de l'air le plus décidé qu'il pouvait prendre, il interpella son père, qui commençait déjà à grimper les marches. Mais quand il vit son visage, son courage l'abandonna. Il commença à bredouiller, puis lui dit finalement :

- Un besoin urgent... Je te rejoins dans le temple dans un moment...

Son père hocha la tête, redescendit, déchargea son fils de son fardeau d'écrivain, et le regarda avec toute la fierté possible, comme pour graver à jamais cette image de son fils, puis monta le reste des marches qui le séparait de la cérémonie.

Eldarion alla rejoindre ses amis, scribes comme lui. Peu d'étrangers étaient là, cette cérémonie n'intéressait guère que les scribes eux même, et quelques seconds des Seigneurs qui marquaient par leur présence l'intérêt de leur maître pour eux. Eldarion aperçut tout de même Dame Sheena, en grande discussion avec le fidèle Takéo. Elle ne resta pas, et Eldarion se concentra sur les autres enfants qui auraient aujourd'hui la joie d'entrer dans la cour des écrivains officiels. Le temps s'écoula, et la cérémonie commença. Istar ne revenait pas... Eldarion tournait la tête nerveusement, cherchant à l'apercevoir parmi les autres, mais il se rendit vite compte que son fils n'était pas encore revenu. Il sortit le plus silencieusement possible à l'entrée du temple et le chercha de nouveau. La voix monocorde dans le temple continuait à psalmodier les noms des jeunes présents, et chacun leur tour, dans la salle résonnante, s'avançait vers le maître de cérémonie. Enfin résonna le nom d'Istar... Un silence pesant suivit son appellation. Un murmure désapprobateur se fit entendre dans l'assemblée. Puis, la vie reprit son cours, de sa même voix monocorde... Eldarion se laissa choir sur les marches, et prit sa tête dans ses mains...


Istar regarda son père entrer dans le temple. Quand il eût disparut de sa vue, il ôta sa toge rapidement, laissant apparaître une tunique trouée et un pantalon trop court. Il fourra ses mains dans ses poches, et il prit la direction du port, bien décidé à ne pas revenir en arrière. Il sifflotait, comme si de rien n'était. Il voulait vivre sa propre vie et imaginait déjà les milliers d'aventures qui l'attendaient sur les flots. Ce jour là Istar avait prit sa décision : son choix était fait, il serait matelot. Et c'est le coeur léger que le gosse marchait vers sa destinée...