L'histoire d'Erza

Elle ouvre les yeux brutalement : c'est comme une zébrure dans l'obscurité environnante, un voile qu'on déchire et qui se scinde en deux en laissant s'échapper d'infimes particules qui partent en flottant dans l'air. Elle cherche à comprendre où elle se trouve, ce qui se passe, mais tout est noir, aucun détail ne lui permet de donner un sens à tout ça. Et d'abord qui est-elle ? Elle essaie de se souvenir mais son esprit reste hermétiquement fermé comme si la lampe du projecteur était cassé. Au bout d'un moment qu'elle ne peut guère évaluer, une minute, une heure, elle tente de faire le point pour éviter de se laisser envahir par la panique : qui est-elle ? Mystère. Où est-elle ? Dieu seul le sait, et encore. Est-elle entière ? Oui, elle a l'impression d'avoir un corps en parfait état de marche, même si elle ne peut rien faire pour le vérifier. Et maintenant ? Un étau lui enserre la poitrine, elle sait qu'elle ne doit pas se laisser submerger par la peur mais c'est plus fort qu'elle : elle ouvre la bouche et hurle de toutes ses forces sans entendre son cri. Alors elle sombre dans le néant en espérant quelque part au fond d'elle-même ne jamais se réveiller.
Plus tard, beaucoup plus tard. De nouveau une lueur de conscience au fond de son esprit torturé, comme une étincelle qui tenterait de la réanimer. Et puis le choc du réveil. Cette fois elle ouvre les yeux et elle voit. Elle distingue en premier lieu le mur au-dessus d'elle : elle est dans une grotte, c'est la première chose à laquelle elle pense en voyant le plafond. C'est une excavation assez petite vu qu'elle pourrait presque toucher la paroi qui la surplombe si elle avait envie de lever le bras. Elle tourne la tête vers la source de lumière et laisse échapper un gémissement : les vertèbres de son cou son ankylosées et la douleur est forte. Ses yeux s'accoutumant à son environnement, elle découvre en face d'elle une niche comme la sienne dans laquelle repose un corps immobile. Un couloir la sépare de cette autre alcôve et c'est la lampe installée au-dessus de l'autre niche qui est allumée et qui diffuse cette pauvre clarté. Où est-elle, bordel, où est-elle ?
Des bruits de pas se font entendre. Ils se rapprochent. Elle ferme les yeux et reprend sa position initiale. Sans qu'elle sache comment, son esprit se met à fonctionner à toute vitesse, ses sens s'aiguisent brutalement, lui envoyant toutes sortes d'informations : elle détecte avec précision deux individus qui arrivent dans sa direction. Ils marchent l'un derrière l'autre, le premier est plus corpulent que le second, ses pas résonnent davantage, l'autre est plus alerte et donc plus dangereux. Leur souffle est altéré comme s'ils marchaient depuis un bon moment. Ils s'arrêtent tout près d'elle.
- Erza, c'est elle...
Le premier se penche, appuie sur les touches d'un clavier derrière sa tête. Elle sent son odeur nauséabonde de transpiration et ne peut retenir un frisson de dégoût...
- Debout Erza, inutile de simuler, on sait que tu es réveillée.
Elle ouvre les yeux, se laisse basculer sur le côté et descend de sa couchette taillée à même le roc. Elle prend le temps de s'étirer tout en se demandant si elle doit leur obéir. Avant qu'elle ait pu prendre une décision, le plus costaud la prend par le bras et lui indique le dos de son acolyte qui s'éloigne déjà en lui disant :
- Allez, c'est à ton tour de rentrer dans le grand Jeu, on va voir si tu es aussi bonne que tes prédécesseurs...
Intriguée par ces paroles qui n'ont aucun sens pour elle, Erza se met à suivre le garde qui s'est arrêté pour l'attendre. Elle constate très vite que les deux murs du couloir sont creusés de niches identiques à la sienne dans laquelle se trouvent d'autres personnes profondément endormies, certaines niches mais très peu, étant vides. Toujours derrière son gardien, elle arrive enfin dans une salle circulaire emplie d'écrans lumineux. Un type en blouse blanche l'attend, un sourire sur les lèvres. Les deux gardes s'inclinent devant lui et la laisse seule face à ce personnage.
- Bienvenue dans l'antichambre de notre monde, par ici je vous prie...
D'un geste de la main, il lui indique un coin de la rotonde où se trouve un petit bureau. Elle le suit et se retrouve assise sur une chaise, face à lui. Elle a le temps de remarquer ses tempes blanches, ses yeux verts qui semblent lui sourire et ses lèvres fines qu'elle aimerait bien embrasser avant que ses paroles n'atteignent son esprit :
- Nous vous devons quelques explications, Erza Vous allez entrer dans les mondes de Daifen d'ici quelques minutes. Votre survie dépend uniquement de vous, à partir du moment où cette porte se refermera dans votre dos, vous serez seule et livrée à vous même. L'Organisation que je représente vous a soustrait à votre monde originel. Vous ne pourrez retourner dans ce monde que si vous sortez vainqueur de celui dans lequel vous allez être plongée. Nous vous suivrons grâce à nos machines mais vous resterez toujours indépendante dans vos choix stratégiques.
Il s'interrompt un instant et se penche d'avantage vers elle par-dessus le bureau. Elle sait qu'elle pourrait l'attraper et lui tordre le cou très facilement, elle en a la certitude, mais après ? Que ferait-elle ? Comment retournerait-elle dans son monde dont elle n'a aucun souvenir ? Comment pourrait-elle obliger cette Organisation à lui restituer sa mémoire ? L'homme reprend :
- Je ne sais pas pourquoi, mais vous m'êtes sympathique Erza, en d'autres temps je vous aurais bien invitée au restaurant, mais hélas ce n'est pas possible. Alors je vais vous faire une faveur : je répondrai à une question, une seule, ce que je n'ai encore jamais fait avec vos prédécesseurs. Après ce sera à vous de jouer. Allez-y, je vous écoute.
Erza réfléchit rapidement. Qu'a-t-elle envie de savoir ? L'évidence lui saute aux yeux :
- Qui suis-je vraiment ?
Il a un sourire en coin puis il ouvre un tiroir et en sort un feuillet couvert d'une écriture très fine et se met à lire. Éberluée, elle l'écoute en se disant que si son existence tient sur une page, tout est encore à écrire...
- Vous vous appelez Erza, vous êtes une jeune femme âgée de 17 ans. Brune, cheveux courts, yeux noirs, vous mesurez 1,72 m, vous pesez 61 kg, vos mensurations sont 90-65-85. Vous venez de la Guilde Fairy Tail implantée au Japon depuis des lustres. Vous y êtes une magicienne remarquable et une combattante hors pair. L'Organisation vous a interceptée alors que vous vous rendiez à un congrès de magie dans le nord du Japon. Tout votre passé vous sera restitué en cas de victoire ici, dans les mondes de Daifen. Il vous faudra remporter une victoire avec chacune des races présentes sur les continents. Méfiez-vous, de nombreuses guildes se livrent ici aussi une lutte meurtrière, tous les coups sont donc permis. Voilà Erza, à présent c'est à vous de jouer, si vous voulez bien me suivre...
Il se lève et lui indique une grande porte métallique qui occupe tout un pan de la salle. Erza lui emboite le pas, perplexe. Arrivé devant la porte, il lui montre deux semelles dessinées en rouge sur le sol :
- Mettez-vous là, voilà... Bonne chance Erza...
Il appuie sur un levier derrière lui. Erza ferme les yeux. Et quand elle les rouvre.....

Moi, je suis le type en blouse blanche. Je ne prendrai pas la parole souvent pour ne pas détourner l'attention du lecteur, mais là, il faut que j'explique un peu mon rôle dans cette histoire. Peu importe mon nom, « le type en blouse blanche » fera l'affaire. Je travaille pour l'Organisation depuis trois ans maintenant. J'ai été recruté au cours d'un colloque sur l'IA (Intelligence Artificielle) : ce que cette association secrète m'a proposé en terme de revenu et surtout de possibilités techniques ne m'a pas fait hésiter longtemps. Je suis responsable de ce centre enfoui dans une région désertique du Montana. .
Mon rôle est très simple : je veille sur une dizaine de corps en hibernation et je les réveille lorsqu'on m'en donne l'ordre. Une fois réveillée, la personne est envoyée dans le monde virtuel de Daifen et là, elle doit se débrouiller pour survivre si elle veut revoir un jour son monde d'origine : en effet, ces gens sont purement et simplement soustraits de leur univers et mis au frigo en attendant d'être réutilisés. Je stocke une grande partie de leur mémoire dans un gigantesque serveur informatique de façon à faire place nette dans leur esprit, l'essentiel étant d'exacerber la nostalgie de leur monde d'origine pour les motiver à se donner à fond sur Daifen. L'expérience montre qu'aucun d'entre eux ne regagne son monde d'origine : ils disparaissent tous en cours de route au bout d'un laps de temps assez variable. On peut expliquer ces échecs par la sauvagerie qui règne sur les continents et cela dépend aussi beaucoup de la personnalité du cobaye. Mais j'ai l'impression que cette jeune femme va aller loin. Erza. C'est son nom. Elle vient de FairyTail, un manga japonais assez connu. Je ne sais pas ce qui m'a pris, mais j'ai senti une faille dans la carapace que je dois ériger autour de moi pour me protéger. Je ne dois pas faire de sentiment, je ne dois pas manifester d'attirance pour mes sujets. Or, là, j'ai été à deux doigts de la prendre dans mes bras pour la consoler, pour lui expliquer ce qu'on attend vraiment d'elle. Heureusement que je n'ai pas fait ça, sinon j'aurais été renvoyé sur le champ ! Qu'est-ce qui m'arrive ? Ai-je été ému par ses yeux noirs ? Bon, laissons de côté ces considérations purement personnelles. C'est interdit, mais je vais l'aider, j'ai quelques possibilités d'action et je vais faire en sorte qu'elle soit plus forte que les autres. J'aimerais bien la faire sortir de là et l'emmener au restaurant, passer une soirée avec elle... Mais avant, il va falloir qu'elle soit solide et qu'elle puisse éviter tous les pièges qui vont lui être tendus. Pour ça, je vais lui transférer toute l'expérience amassée par ses prédécesseurs et puis, je vais lui envoyer une aide, ça c'est pas compliqué et c'est de mon ressort. Au moins, elle gagnera du temps et qui sait ??? Tout est permis sur Daifen, alors pourquoi pas l'espoir ?

Quand elle rouvre les yeux, elle est éblouie par le soleil et son premier réflexe est de mettre la main devant ses yeux pour s'en protéger. Ses pieds nus sont enfoncés dans du sable très fin et elle entend le bruit de l'océan dans son dos. Elle est sur une plage, une plage qui monte droit devant elle vers l'orée d'une forêt de pins maritimes. Les vagues viennent lui lécher les chevilles et lui procurent une sensation de fraîcheur. Pourtant elle ne se laisse pas distraire et ses sens fonctionnent à toute allure, lui apportant un flot d'informations que son cerveau trie soigneusement et classe en fonction de leur importance. Première information capitale : un groupe de cinq individus vient vers elle, ils sont à une cinquantaine de mètres sur sa droite et avancent assez vite. Deuxième information : ils n'ont rien de belliqueux dans leur démarche. Troisième information : celui qui marche en tête, un grand maigre tout en longueur semble mener ce petit détachement. Quatrième information : ils sont en nage et puent la sueur. Cinquième information : elle a un sac sur l'épaule droite et ce sac commence à peser très lourd, il va être temps qu'elle le pose.
Le groupe s'arrête à quelques pas d'elle. Elle est obligée de lever la tête pour voir le visage du grand. Celui-ci la regarde fixement puis éclate de rire :
- Ah ah ah ah ah ah !!!!
Erza est stupéfaite, que peut-elle bien avoir d'amusant ? Le grand s'arrête de rigoler et lui dit :
- Bonjour Dame Erza, bienvenue sur Riredhil. Je suis votre bras droit, je m'appelle Phil Hoche.
Erza lui répond du tac au tac :
- Un bras droit, j'en ai déjà un, merci. Riredhil ? Quel drôle de nom ! Comment on fait pour se tirer d'ici ?
Phil Hoche secoue la tête et la regarde avec un air incrédule avant de lui dire d'un ton étonné :
- Partir d'ici ? Mais vous venez à peine d'arriver !
Erza reste de marbre. Puis elle fait un pas et lui murmure tout bas pour que les quatre autres ne l'entendent pas :
- Toi aussi, tu fais partie de l'Organisation ?
Phil Hoche se gratte le menton, perplexe. Puis il explique :
- Il n'y a pas d'Organisation, Madame, je ne vois pas de quoi vous voulez parler. Ici c'est la guerre malgré ce paysage paradisiaque. Dans l'immédiat, nous devons trouver un endroit pour jeter les fondations de ce qui sera notre campement et commencer tout de suite à nous développer de façon à éviter les attaques intempestives. Je vous suggère donc de nous suivre pour voir ensemble quel endroit serait le plus propice à une installation.
Lorsqu'il a fini, il tourne les talons et se met à remonter la plage en direction des premiers pins. Erza reste sur place, indécise. Elle, ce qui l'intéresse, c'est le moyen le plus rapide de retourner chez elle, dans sa guilde, dans son monde. Mais s'il y en a qui veulent la bagarre, elle est prête à perdre un peu de temps. Finalement elle se met en marche et rejoint rapidement le petit détachement qui l'attend devant l'amorce d'un sentier.
Beaucoup plus tard... Phil Hoche est excédé, il n'en peut plus. Les quatre guerriers qui l'accompagnent grommèlent sans arrêt et ralentissent de plus en plus l'allure. Seule Erza marche devant eux d'un pas alerte, s'arrêtant de temps en temps pour les attendre, appuyée à un tronc d'arbre, un brin d'herbe entre ses lèvres. Elle a trouvé une paire de bottes à sa taille dans son sac et un chapeau de flibustier qui lui donne une allure cocasse. Elle sifflote de temps en temps un petit air entrainant qui a surgi de sa mémoire sans qu'elle sache vraiment d'où il vient.
Soudain elle s'arrête, observe attentivement le paysage qui l'entoure puis tend la main en montrant une petite butte :
- On s'installe ici !
- Ouf ! se dit Phil Hoche, enfin...
L'endroit choisi par Erza est une petite vallée encaissée au milieu de laquelle serpente un cours d'eau. Ce cours d'eau se divise en deux bras pour contourner une butte herbeuse assez large sur laquelle la vue doit englober tout les alentours. Phil hoche la tête d'un air approbateur. Il se tourne vers les quatre guerriers qui sont assis à même le sentier derrière lui, exténués, et qui n'arrêtent pas de se claquer les bras, les jambes, pour essayer de tuer les moustiques qui les piquent :
- Allez, on plante nos tentes ici !
Les gars se relèvent péniblement en grommelant puis se dirigent vers la butte, pataugeant dans un bras du cours d'eau avant d'atteindre la terre ferme. Erza se tourne vers Phil Hoche et lui dit :
- Maintenant j'ai besoin de tout savoir sur cette guerre. Je veux des explications claires et précises. Je t'écoute.
Phil se gratte le menton puis se lance :
- Très bien, Dame Erza. Alors voilà : sur ce continent, en ce moment, un certain nombre de seigneurs sont comme vous, en train de s'installer. Ils vont se développer et lorsqu'ils seront prêts, ils lanceront des attaques visant à éliminer le plus possible d'adversaires. Lorsqu'il ne restera plus que trois seigneurs en lice, la trêve sera signée et il la victoire sera acquise pour ces trois là. Il faut savoir qu'il existe des ordres, des regroupements de seigneurs, ce qui fait que ces gens là peuvent être présents en masse sur cette terre et attaquer très vite ensemble. Votre rôle consiste à me donner des ordres pour assurer le développement de votre armée et à faire de la diplomatie avec les autres seigneurs. Vous ne sortirez pas vainqueur si vous restez toute seule dans votre coin. Actuellement vous dirigez une armée d'Elfes, ce sont des guerriers redoutables et je suis là pour vous aider à assurer un bon développement de votre royaume de façon à avoir le plus vite possible ces troupes efficaces. Des questions ?
Erza secoue la tête :
- Non, c'est très clair. Tu peux me préparer un topo sur les différentes races présentes ici et les ordres ?
Phil acquiesce, satisfait de voir enfin sa patronne prendre le taureau par les cornes :
- D'accord. Bon, je vais superviser notre installation, je vous laisse, à tout à l'heure...
Erza soupire :
- C'est ça, à tout à l'heure....Mais qu'est-ce que je fous ici ????

Une silhouette familière apparaît brutalement à la limite de son champ de vision. Elle sait qu'elle connaît ce jeune homme sans pouvoir l'identifier avec certitude, mais sa démarche, sa façon de se tenir, sa façon de lui sourire, tout ça fait qu'elle est sûre de le connaître, d'avoir partagé des moments exaltants avec lui. Soudain, sans qu'elle ne s'en rende compte, un voile se déchire dans le réseau complexe de ses neurones et spontanément elle tend les bras en criant, le coeur emballé :
- NATSU !!!!!!!!
Elle rit, persuadée d'être enfin retournée chez elle et elle pense un moment que c'est grâce à Natsu qu'elle a enfin quitté ce monde d'Elfes et de Morts-vivants tous plus fous les uns que les autres. Pourtant son sourire s'estompe brutalement : Natsu secoue sa tête de gauche à droite, fait demi-tour et s'éloigne d'elle rapidement. Paralysée par l'effroi, elle voit son ami de toujours s'éloigner définitivement d'elle et disparaître à l'horizon. Un hoquet obstrue sa gorge, les sanglots se bousculent et elle laisse couler ses larmes sans faire aucun geste pour essuyer ses joues.
- Erza, debout !!!!
La voix de Phil Hoche perce son sommeil et fait éclater son rêve comme si c'était une bulle de savon. Erza émerge de l'inconscience les joues inondées. D'un geste rageur, elle ramène les couvertures par-dessus sa tête mais Phil Hoche insiste, il a des consignes précises, Erza veut assister à l'entraînement des troupes ce matin, c'est elle-même qui lui a donné l'ordre de la réveiller à l'aube et de ne pas quitter la petite pièce qui lui sert de chambre tant qu'elle n'est pas sur ses deux pieds.
- Erza, debout !!!!
De nouveau le même refrain. La jeune fille grogne puis doit bien se rendre à l'évidence : elle est toujours bloquée sur ce putain de monde. Elle rejette brusquement la couverture et sans se soucier le moins du monde de s'exposer nue, elle s'assoie dans son lit. Phil Hoche trouve brutalement que la température de la pièce est élevée. Ses yeux vont de gauche à droite en essayant de ne pas se poser sur les deux obus qui pointent orgueilleusement dans sa direction. Il déglutit puis tourne les talons en lançant :
- Je vous attends sur la place d'armes pour commencer l'entrainement, Madame....
Une fois vêtue correctement d'une chemise blanche un peu trop longue, d'un pantalon en peau de bête et d'une paire de bottes qui lui arrivent à mi-cuisse, Erza sort de sa baraque et se dirige vers la place d'armes qui est en fait une vaste étendue herbeuse assez plane devant servir de terrain de jeux aux troupes. Erza voit quatre guerriers de son armée en compagnie de Phil Hoche. Dès qu'ils l'aperçoivent, les elfes la saluent d'un léger signe de la tête et commencent à s'entraîner. Leurs évolutions sont gracieuses, Erza a l'impression d'assister à un ballet de danse classique. Les elfes tournent, virevoltent, font mine de se frapper et esquivent au dernier moment les coups qui leur sont destinés. Au bout de dix minutes de passes, de contre-pas et de virevoltes, Erza remontent ses manches de chemises et s'avance vers le petit groupe qui s'arrête, paralysé par la présence de leur chef. Phil Hoche apparaît brusquement aux côtés d'Erza :
- Phil, je veux m'entraîner avec eux....
Phil Hoche ouvre des yeux ébahis :
- Mais madame, ils vont vous blesser !
- Tu paries ?
- Les jeux de paris sont interdits dans l'armée, madame...
- Dis leur que je veux me battre avec eux...
- Ils vont vous....
- Dis leur, bordel de merde, tout de suite... !!!!!!
Pétrifié par le ton d'Erza, Phil finit par obéir. Il s'adresse aux guerriers dans la langue elfique. Lorsqu'il se tait, les quatre elfes se regardent avec une lueur d'amusement au coin des yeux, puis ils s'inclinent encore une fois devant Erza et se mettent en garde, les poings relevés, prêts à échanger des coups avec leur commandante en chef. Les pauvres. Erza se sent bien, elle a confiance en elle, elle se concentre, plisse les yeux et passe en mode attaque : sans hésiter, elle fonce droit devant elle. Le premier elfe n'a pas le temps de dire ouf qu'il se plie déjà en deux, terrassé par un coup de pied dans ses parties intimes. Le second esquisse un coup de poing avec son bras droit mais la pointe de la botte d'Erza le cueille sous le menton et l'envoie valdinguer dans les airs. Le troisième a un peu plus de chance, il réussit presque à esquiver le coup de poing qui lui était destiné mais il est percuté par le sommet du crâne d'Erza. Quant au quatrième, la jeune femme enchaîne tellement vite que même moi qui vous raconte ça, n'ai pas le temps de voir comment elle fait : le dernier Elfe se retrouve au tapis les quatre fers en l'air. Satisfaite, Erza époussette sa chemise, rabat ses manches, fait demi-tour et se plante devant Phil Hoche :
- Bon, mon ami, va falloir les secouer tes Elfes. Je ne vais pas dire qu'ils se battent comme des folles, mais on n'en est pas loin. Si je suis ici, c'est pas pour être tournée en ridicule par le premier Orc qui va se pointer. Tu as trois lunes pour leur apprendre à se battre. Explique-leur que la valse, c'est terminé. Maintenant je vais déjeuner, tu sais où me trouver si tu as des questions...
Puis elle tourne les talons, satisfaite de la tête éberluée de son bras droit...

Phil Hoche se précipite en courant vers la cabane qui a été allouée à Erza durant son séjour dans l’enceinte de la cité du Clan. Secrètement le bras droit de la jeune femme espère qu’elle ne restera pas indéfiniment dans cette Cité : lui, il a envie de bouger, de voir un peu ce qui se passe dans les autres ordres de Daifen et contrairement à sa patronne, il n’a aucune envie de moisir ici, n’ayant aucune attache personnelle en ces lieux et il se demande bien pourquoi Erza a mis directement le cap ici et ne semble pas vouloir en bouger.. D’ailleurs, en parlant de bouger, où est-elle encore passée ? La cabane est vide, il en fait le tour en moins d’une minute. Il remarque d’un œil curieux le bazar qui règne dans la petite pièce qui lui sert de chambre, les sous-vêtements éparpillés sur le lit, les culottes, les pantalons, les chemises et même les nuisettes ! Tout est en vrac, comme si elle avait vidé le contenu de ses malles sans rien trier, ce qui est sûrement le cas. Phil ressort de la cabane et observe les environs : le quartier de l’église abrite les maisons individuelles qui servent aux invités. Plus loin,  les quartiers administratifs interdits à tout étranger, se dressent de façon imposante. Bon, elle ne peut pas être là, donc il ne reste plus que le parc qui s’étend jusqu’au mur d’enceinte de la Cité. Phil Hoche s’engage donc sur un chemin sablonneux qui s’enfonce entre les arbres aux troncs larges et moussus. Soudain, il s’arrête, brusquement aux aguets : le silence est dense, plus aucun oiseau ne s’exerce à chanter. Il aperçoit une tâche rouge dans les buissons, droit devant lui. Il s’avance doucement, inquiet de ne pas avoir d’arme sur lui. Il s’allonge dans l’herbe et engage sa tête dans le feuillage. Il manque de suffoquer lorsqu’il découvre le spectacle qui s’offre à lui…
Derrière le buisson où il se cache, un lac vient paresseusement lécher les bords d’une rive agréablement ombragée grâce à de grands peupliers qui s’agitent doucement dans le vent. Au pied de l’un d’entre eux, à moins de dix mètres de notre héros, Erza se prélasse sur une chaise longue, vêtue en tout et pour tout d’un minuscule bout de tissu rouge qui tient à peine sur ses hanches. Exposée au soleil et luisante d’huile, sa peau a déjà pris une teinte caramel qui n’est pas dénuée de charme.  Elle tient un livre à bout de bras et a chaussé sur le bout de son nez une paire de lunettes qui lui donne un faux air d’intellectuelle. Sa lecture la captive entièrement et elle n’a absolument pas conscience de ce qui se passe autour d’elle. Phil Hoche se dit qu’une troupe d’Orcs pourrait bien débarquer ici qu’elle ne les entendrait même pas…  Il reste à espérer qu’elle les  sentirait-elle peut-être ? Que faire ? Prenant son courage à deux mains, Phil se redresse discrètement, s’époussette et en se raclant la gorge pour signaler son arrivée, il s’avance vers Erza… La jeune femme détourne son regard de son livre et lorsqu’elle voit son bras droit à moins de deux mètres d’elle, elle se relève, le regarde fixement et dit :
- Oui ? Tu me cherches ?
Phil Hoche s’efforce de ne regarder que son visage en répondant :
- Oui, madame, j’ai reçu les rapports de cette nuit, il conviendrait de les étudier pour savoir si vous voulez repartir au combat la nuit prochaine…
Erza soupire : la nuit dernière, pour son baptême du feu, elle a en effet participé à son premier assaut qui ne fut guère exaltant : ses scouts alliés aux forgerons du Seigneur Kaelig ont percé très rapidement les défenses d’un certain Faon l’Espiègle et ont fait main basse sur tout ce qui traînait dans le campement de ce dernier. Elle n’a même pas eu besoin de se battre, les guerriers de l’Espiègle décampant dès les premiers contacts.
Elle regarde d’un air désespéré le livre qu’elle était  en train de dévorer avant l’intrusion de Phil Hoche puis secoue la tête :
- Ça ne peut pas attendre cinq minutes ? Ce recueil de textes que m’a prêté McFly est vachement intéressant, figure-toi qu’il a été écrit par une certaine…
- Non, désolé Madame, mais vous devez rencontrer le seigneur Kaelig dans exactement dix-sept minutes, il vous attendra devant l’église.
Il toussote et rajoute :
- Je ne pense pas que vous puissiez y aller dans cette tenue même si vous êtes, ma foi, très jolie à regarder…
Il se tait brutalement en réalisant qu’il est tout simplement en train de faire du gringue à sa patronne. Puis, en lorgnant les deux seins qui le regardent, il balaie dans sa tête ses objections en se disant qu’elle est vraiment adorable à regarder et qu’elle le serait encore plus si… Erza l’interrompt dans ses pensées et lui répond comme si elle n'avait pas entendu sa dernière remarque :
- Très bien, alors allons-y, passe devant, je rassemble mes affaires et je te rejoins…

L’église s’élève, majestueuse et imposante. Sur le parvis, Erza observe une étrange agitation : des messagers arrivent sans arrêt et repartent après avoir délivré leur missive à Kaelig. Lorsqu’il la voit arriver, Kaelig lui fait un petit signe de la main puis descend les marches pour venir à sa rencontre.
- Les nouvelles ne sont pas bonnes, lui dit-il sans ambages, je vais prendre un radeau cette nuit…
- Un radeau ? C’est quoi ça ? répond la jeune femme…
Phil Hoche qui était resté en retrait s’interpose :
- Un radeau, Madame, comme tout le monde le sait, est une embarcation de fortune qui permet à des naufragés de subsister un peu avant de finir bouffés par les requins. Ici, sur les continents de Daifen, c’est une expression qui signifie que vous êtes éliminée, que votre royaume est rasé.
Erza le fusille du regard mais son bras droit ne s’en aperçoit pas. Elle se tourne de nouveau vers Kaelig :
- Vous en êtes sûr ?
- Absolument, répond-il, nous avons attaqué une alliance puissante et le retour du bâton va me faire très mal…
Erza reste silencieuse un instant. Elle réfléchit à toute allure et se rend compte qu’elle a sous-estimé la stratégie au profit de l’ivresse des combats. Sa décision est vite prise :
- Bon, puisque c’est ainsi, je vais prendre moi aussi votre radeau, j’ai besoin de bronzer un peu, depuis que je suis arrivée ici, je n’ai pas eu le temps de m’occuper de moi. J’envoie toute mon armée chez votre agresseur, on verra bien…
Phil Hoche secoue la tête :
- Ce n’est pas comme ça que vous allez remporter une victoire !
Son ton réprobateur ne plait pas à Erza qui rétorque :
- L’essentiel n’est pas de gagner ou de perdre, mais c’est la façon de le faire. Et pour moi, les relations avec mes alliés sont tout ce qui compte. A l’avenir, abstenez-vous de ce genre de remarques ou je me débarrasse de vous, c’est clair ?
Phil Hoche se rend compte qu’il a peut être outrepassé ses prérogatives. Il balbutie quelques excuses et tourne les talons. Erza regarde Kaelig, lui fait un clin d’œil et lui demande en souriant :
- Il y a une place pour moi sur votre radeau ?

Erza est assise à même le sol, elle a posé sa tête sur ses deux bras qui enserrent ses genoux et elle contemple des larmes plein les yeux l’incendie qui ravage son campement. A côté d’elle, réfugié dans une attitude sévère et réprobatrice, Phil Hoche secoue la tête, les yeux sombres… Les assaillants sont arrivés sans crier gare alors qu’elle-même et une bonne partie de son armée ravageait le royaume d’un certain Acta Diurna. Lorsqu’elle est revenue victorieuse à son campement, une surprise de taille l’y attendait : tout était en feu ! Phil Hoche, réfugié dans un bosquet pas trop loin du lieu, a attendu d’être sûr qu’il s’agissait bien d’Erza pour sortir de sa cachette.
- Ils sont arrivés sans bruit et ont investi le camp sans rencontrer beaucoup d’opposition, Madame. Vous avez sous les yeux le résultat de ce raid meurtrier, il ne vous reste plus qu’à rassembler le peu d’affaires que vous pourrez récupérer et à filer rejoindre le seigneur Kaelig.
- Qui ? lui demande-t-elle d’une voix blanche…
- Noir Feu et un de ses alliés, il est le responsable de l’Ordre des Enfants de Dana…
Erza ne répond rien, se contentant de graver dans sa mémoire ce nom pour ne pas l’oublier. Puis, comme un robot, elle s’est dirigée vers les ruines de son camp et a fouillé avec un bâton dans les cendres sans pouvoir, hélas, récupérer quoi que ce soit. Elle s’est éloignée un peu puis s’est assise et depuis n’a pas bougé, perdue dans ses pensées…
- Mon Dieu, se dit-elle, qu’est-ce que je fais ici ? Comme je voudrais repartir d’où je viens, retrouver Fairy Tail…
Sans qu’elle ne s’en rende compte, les souvenirs refont surface, comme des bulles crevant la surface immobile d’un lac. Elle revoit son univers de magie et surtout sa Guilde, la Fairy Tail et tous ses membres, tous plus zazous les uns que les autres, Natsu, Happy et Lucy, la Reine des Clés… Mais où sont-ils tous ces êtres qui lui sont chers ? Et puis elle se souvient de ce que lui a expliqué le type en blouse blanche : elle doit gagner si elle veut avoir une chance de retourner chez elle.. Au désespoir succède alors la rage de se battre, l’envie de gagner… Soudain elle saute sur ses pieds et dit sans regarder Phil Hoche :
- Allez, on y va, j’ai des gens qui m’attendent quelque part et que je dois retrouver… En route !
D’un pas décidé, elle tourne le dos à Riredhil et se dirige ardemment vers un nouveau continent…