[Le Cycle de Sang] Fin des Préliminaires: Prenez et mangez-en tous...
" Quand les justes se multiplieront, le monde sera dans la joie, et quand les méchants prendront le gouvernement, le peuple gémira. "
La Bible: Ancien testament, Proverbes, Chapitre 29, verset 2
Rêvait-elle? Son subconscient la tourmentait-il? Pourtant tout semblait si réel. Tout semblait à la fois palpable et pourtant si éthéré, fuyant, glissant comme une trame mal consolidée...
Elle se voyait vivre son existence. Elle n'était plus que spectatrice du défilement de ses jours, ses actes, ses pensées.
Avait-elle réellement oté les bijoux ensorcelés qui contenaient sa hargne et son pouvoir destructeur? Avait-elle vraiment continué à vivoter son quotidien sans qu'il ne se passe rien, sans que personne ne hurle de son geste?
Ap'Poh secoua la tête, histoire de tenter de remettre en place ses idées, perdues dans la brume de la confusion. Elle se tenait debout, dans la ruelle éclairée du soleil matinal, devant la Taverne de la Cité. L'enseigne en bois peint représentait toujours un Arbre de Vie.
Elle attendait. Quelqu'un devait la rejoindre. Quelqu'un de très cher lui semblait-il. L'un de ses précepteurs l'avait-il conviée à une leçon dans" la salle de classe habituelle"? N'avait-elle pas rencontré ce doux jeune homme aux cheveux blonds comme les blés et au sourire si ravageur? Ne lui avait-il pas proposé un premier rendez-vous ici?
Sentiment de déjà-vu. Elle eut un spasme, un haut-le-coeur. Vertige d'un dérapage dans l'espace-temps. Dans l'inifinité d'une seconde, elle se vit ici au même endroit, dans une atmosphère pesante rouge sang, les portes des maisonnettes de la Cité grinçant au vent, ouvertes sur leurs gonds, arrachées. La Taverne était en ruine. Une odeur pestilentielle s'en échappait. L'enseigne était remplacé par le corps de ce même jeune homme blond. Corps "planté", empalé, écrasé dans l'équerre du mur supportant habituellement l'Arbre de vie stylisé. Corps dégoulinant de boyaux. Corps se désèchant dans une fournaise inhabituelle pour un matin. L'horizon montrait un brasier gigantesque. Le monde était en feu...Les âmes criaient au loin. Des ombres avançaient vers elle, menaçantes, grimaçantes...Elle croyait y reconnaître les silhouettes de ses oncles et tantes, des habitants de la Cité...
Puis ce déjà-vu passa et elle se retrouva dans la sérenité de cette matinée somme toute très triste et engourdissante. Elle retenait sa respiration. Angoissée. Une douleur commençait à lui vriller la poitrine. Reprendre un peu d'oxygène! Allons!
Elle s'obligea à expirer, inspirer, lentement, profondément.
La douce torpeur revint. Elle commença à faire les cent pas selon de petits cercles concentriques. S'énerva, stoppa net, tapa du pied.
Le temps semblait s'étirer,puis s'accélérer... Son ombre s'allongeait derrière elle, se ratatinait à ses pieds, tournait telles les aiguilles d'une pendule en la prenant comme centre...
Soudain, un grand bruit identique au son que ferait le déchirement du ciel et du monde, le fracas des entités primordiales se disloquant, la fit sursauter...
...sursauter en ouvrant les yeux. Elle se redressa en sueur. Il faisait jour dans sa chambre. Ce n'était qu'un rêve. Elle soupira d'aise et rejeta la lourde couette loin au bas du lit. Elle posa les 2 pieds au sol et s'étira.
Voilà une journée qui allait s'éterniser si elle ne se donnait pas un objectif! Un petit coup d'oeil dans le miroir de la coiffeuse: brrrrr...mauvaise mine tout ça! Pas étonnant avec de tels songes! Vite, se choisir une parure qui la mettrait en valeur! En se ruant vers l'armoire où Xéna avait disposé les plus belles robes de princesse qu'elle avait pu lui faire confectionner, Ap'Poh ne vit pas que son reflet ne prenait pas la même direction qu'elle, continuant à fixer droit devant. Ce reflet sans les bijoux runiques forgés par Korem, gardiens du déchainement de sa force...
Elle ne vit pas non plus cette Ombre étrange qui la collait ce matin et ne lui ressemblait que peu, grouillante et remuante...
En fait peu de claniques remarquèrent les changements ce matin. Et pourtant chez chacun qui avait passé une mauvaise nuit, des manifestations étranges marquaient ce décalage, cette ère de décadence approchante. Personne ne s'alarma. Tant mieux. Que peut-on faire face à cela? Une impasse, un abîme, un cul de sac...