[Le Cycle du Sang] Deuxième Terre: L'espoir est une torture

Ap'Poh regardait l'horizon. L'île avait presque entièrement été engloutie par les éléments déchainés.
Seule subsistait la colline et les 500 mètres alentours, point culminant d'Atlantidhil.
C'était là que la jeune fille avait fait construire son campement: quelques manoirs et leurs cimetières.
De l'autre côté de ce relief se trouvait, Jack, 4 ème du nom, en train de se saouler en attendant on ne savait quoi...sa fin, la libération, la damnation, la cavalerie?
Quelques planches assemblées formait ce qui lui servait de brasserie et d'épicerie. Il avait bu tous les tonneaux amenés et il y a bien longtemps que son épicerie ne contenait plus aucun denrée comestible...

Elle l'avait souhaité cet état de faits. Elle l'avait espéré.

Il ne faut jamais faire de voeux, au risque qu'ils s'accomplissent...

Son esprit vagabondait au rythme de son regard qui se perdait sur l'horizon de cet océan en furie. Des vagues immenses venaient fouetter le reste des terres encore émergées. Il n'y en aurait plus pour longtemps. Il allait falloir se décider.

Le Clan avait conclu ses débats en décrétant un ordre: il ne fallait pas frapper Jack plus longuement.
Cette bizarre superstition selon laquelle le Clan serait maudit si un clanique osait détruire le seigneur de guerre au langage si particulier la révoltait.
Pourquoi donc ses oncles, tantes et amis prenaient-ils soudain peur d'une maudite superstition sans fondement??? Elle n'en avait que faire elle!
Tout le Clan était frappé de délire chaque nuit à cause de leurs Ombres étranges qui les poussaient à détruire encore et toujours toute trace de vie là où ils débarquaient. Tous ses compagnons de fortune s'entretuaient comme de vulgaires charognards, là encore poussés par une force plus sombre. Mais en journée, lorsque la lumière rallumait leurs identités dans leurs yeux embrumés et aliénés, ils se prenaient à tomber dans de risibles croyances occultes et irraisonnées.

Elle enrageait.

Pour passer son dégoût de tout cela, elle avait négligé et déserté son campement, le laissant aux prises de la tempête, loin de sa protection, les bâtiments s'effondrant sous la colère de ses amis et de l'orage cataclysmique. Elle était partie traquer et piéger chaque homme du camp de Jack. Elles les avaient tous étripés de ses mains, égorgés de ses crocs, lacérés de ses griffes.
Elle avait également soufflé chaque construction du 4ème par des sorts de destruction et de ruine.
Il ne lui restait plus que cet abri de fortune où Jack cuvait ses derniers litres de bière ou de p'tit bec. Et sa rage n'était pas encore consumée...
Ses yeux rougeoyaient telles les flammes de l'enfer. Ses poings serrés ne laissaient échapper que de minces filets de sang, probablement de blessures infligées par ses propres ongles dans ses paumes...

-Allez me chercher l'avorton dans sa cabane, vite! Et ne l'abimer pas dans vos serres hein, je le veux en l'état!

Les harpies s'envolèrent.
Elle rentra dans le manoir chauffé et protégé de l'apocalypse par le pouvoir de sa propriétaire. Elle allait l'attendre ici et lui donner gîte et couverts. Elle discuterait avec lui, lui offrirait tout ce qu'il souhaite...puis elle aviserait...
Il fallait choisir: conclure un pacte avec ce naïf petit être, s'en aller et lui laisser les vestiges engloutis, le torturer puis mettre fin à sa misérable vie?

Son visage reprit un aspect plus enfantin, plus angélique, plus inoffensif. Elle se recoiffa longuement dans le miroir du hall d'entrée et partit patienter dans ses appartements. La nuit allait tomber, il allait en plus falloir combattre la volonté de l'Ombre attachée à sa personne pour conserver sa volonté et son individualité.
Jack risquait gros...

Il était venu (evidemment contraint et forcé ).
Elle observait cet être qui se gaussait tant de tout honneur, de toute bravoure, de toute reflexion.
Bien plus petit que ce qu'elle imaginait. Habillé de couleurs criardes, mal assorties. Les cheveux en bataille et crasseux. Il était ivre.
Il paraissait fragile, timide, mal à l'aise.
Et cela ne tenait pas qu'à sa situation précaire. Ap'Poh aurait été une jeune fille plus classique, elle aurait probablement été touchée et émue par cette présentation.

-Alors, il parait que tu as le pouvoir de nous maudire?

-...

-Tu l'as échangé contre ta langue?

-Nan, m'dame.

-Bon, je manque à tous les égards. Une petite boisson? Détends-toi. Mets-toi à l'aise. Nous allons discuter de la suite.

-OK m'dame.

-Tu sais pourquoi tu es encore là?

-Nan m'dame.

-Arrête de m'appeler ainsi, je suis probablement plus jeune que toi. Tu es ici car ma famille clanique est persuadée que tu as d'étranges pouvoirs qui pourraient nous nuire. Tu comprends?

-Oui m'dam...heu,enfin nan mam'zelle.

-Je pourrais te tuer.

-Je sais mam'zelle.

-Je vais te tuer.

-...

-...ou pas...Je t'offre ton destin: que préfères-tu? Tu veux que je te détruise? que je m'en aille? que nous régnions tous les 2? que nous partions laissant cet île à sa propre destinée folle?

-Vous la méritez, prenez là. Même si j'aurais aimé y laisser ma trace.

-Tu me fais rire. Bois un peu, détends toi. Observe le spectacle.

Elle frappa dans ses mains et une dizaine de succubes apparurent et se mirent à danser un ballet étrange et hypnotisant.

L'alcool aidant, Jack s'enfonça immédiatement dans le spectacle, comme ...ailleurs...

-Tu voulais que je chante pour toi n'est-ce pas?

Il n'était plus avec elle, incapable de répondre, absent, perdu dans les mouvements captivants des démones. Un son mélodieux, lointain, enfantin s'éleva pour ajouter à la magie de l'instant. Elle l'emmenait plus loin dans cette transe par quelques notes. Finalement le chant d'Apocalypso avait bien des pouvoirs...

Il s'endormit vite. Il ne pesait rien. Elle l'allongea sur une couche moelleuse. Elle ouvrit la chemise de lin de sa proie, observa son torse imberbe, sentit son coeur battre sous ces quelques millimètres de peau, dos et de muscles.

Les ongles de la jeune fille s'allongèrent, fines lames noires acérées. Elle approcha ses griffes du point palpitant au milieu de son thorax. Juste un tout petit geste et elle tiendrait son organe dans sa main, sentirait le sang chaud couler, pourrait se délecter de celui-ci...

La nuit tomba, les Ombres envahirent tout, toute raison, toute déraison...